jeudi 13 avril 2023

Décadanse, Libération piège à c... ?, nouveau livre de Patrick Buisson

Dans son précédent livre, La fin d’un monde, Patrick Buisson désirait convaincre que « c’était mieux avant ».

Dans ce nouvel ouvrage, intitulé Décadanse, il persiste en démontrant cette fois que le sacré est éclipsé et les mœurs traditionnelles totalement bouleversées. Avec l’apparition de l’hédonisme comme religion, il dénonce le culte de soi et du corps qui impose une nouvelle échelle des valeurs et de nouveaux comportements.

Cette société de consommation, qui est l’aboutissement des Trente glorieuses, remet en cause des siècles de morale dite traditionnelle, chrétienne, puis laïque. L’abondance commerciale impose une mentalité nouvelle fondée sur la dépense et le recours au crédit.

La cible de ce nouveau « capitalisme de la séduction » est en premier lieu les nouvelles classes moyennes, à qui la publicité apprend à consommer des signes et à considérer que l’épanouissement personnel passe par la jouissance des choses, laquelle, en dernière instance, s’identifie à la jouissance érotique : consommer, c’est faire l’amour.

Ce fut un temps déraisonnable : Serge Gainsbourg inventait la « décadanse », Tony Duvert réclamait la majorité sexuelle pour les enfants de six ans et Ménie Grégoire s’obstinait à vouloir faire des ménagères des machines à produire des orgasmes en rafales. Longtemps pourtant, la révolution sexuelle des années soixante-dix a été présentée comme le temps des merveilles.

Un nouveau marché a triomphé : celui du corps. Une nouvelle religion s’impose : l’hédonisme, soit le culte de l’ego qui impose une nouvelle échelle de valeurs, de nouveaux comportements, et remet en cause rien moins que des siècles de morale chrétienne puis laïque.

La crise de la reproduction de la vie s’accompagne d’une crise de la reproduction des grands systèmes qui lui donnaient un sens.

Et si les grandes lois soi-disant émancipatrices n’avaient été qu’un marché de dupes marquant à la fois l’abolition du patriarcat et le triomphe de la phallocratie ?

La révolte individualiste au nom de l’hédonisme aboutit à un monde délié, où les liaisons protectrices n’existent plus, où la prise en charge de la société par l’État va de pair avec la marchandisation des solidarités naturelles.

Après La Fin d’un monde, Patrick Buisson poursuit son œuvre de déconstruction de la modernité et montre en quoi les peuples ont été trahis par les élites au nom d’une illusoire libération des mœurs.

Décadanse
par Patrick Buisson
publié chez Albin Michel,
à Paris,
le 12 avril 2023,
528 pp,
ISBN-10 : 2 226 435 190
ISBN-13 : 978-2226435194

 Recension de Guillaume Perrault parue dans le Figaro Histoire

Les procureurs de la France de jadis sont légion, ses avocats plus rares. Des mœurs de la société traditionnelle, qui a disparu par étapes depuis l’après-guerre, Patrick Buisson se fait l’intransigeant défenseur dans son nouvel ouvrage, Décadanse (Albin Michel). Poursuivant le travail entrepris avec La Fin d’un monde, il soutient une thèse radicalement antipathique aux modernes, la supériorité du passé français sur son présent, et instruit dans ce volume le procès de la révolution des mœurs advenue lors des années 1960 et 1970. Tel un ténor du barreau chargé d’un dossier désespéré, l’auteur a choisi, pour son apologie des règles morales d’antan, une stratégie de rupture, s’attachant à ruiner les convictions les plus largement répandues chez nos contemporains. Il s’efforce de démontrer que tous les bouleversements d’ordinaire célébrés comme des progrès (avènement de la société de consommation, changement radical de la condition féminine) se payent de régressions désastreuses, qu’on se garde de relater et qui annoncent une catastrophe. Le titre du livre est d’ailleurs une référence provocatrice à une chanson de Serge Gainsbourg bien connue des baby-boomers, interprétée par le chanteur ainsi que Jane Birkin en 1971, et emblématique du climat licencieux de l’époque.

Ce livre n’est pourtant pas un pamphlet. Il s’agit d’un essai de combat étayé, c’est sa force, par une masse documentaire impressionnante, rigoureuse et foisonnante (presque trop). Sa grille interprétative très robuste - idéologique, diront ses détracteurs — lui permet de dominer la forêt touffue des faits convoqués à l’appui de sa démonstration. Les contre-arguments qui se pressent à l’esprit du lecteur ne sont pas éludés par Patrick Buisson, même s’il ne les réfute pas toujours de façon convaincante. Par ses postulats, l’auteur s’emploie en revanche à affaiblir, désamorcer et comme neutraliser les critiques.

L’ouvrage donne le sentiment d’une tortue romaine qui avance de façon méthodique et implacable. A l’évidence, l’essayiste se regarde comme un soldat en guerre et juge que toute concession est une faiblesse, dût-on lui reprocher d’être un esprit systématique, sans cœur ou irréaliste.

A partir des années 1950, l’engouement pour les équipements ménagers (réfrigérateur, machine à laver, puis, plus tard, télévision) et la voiture, rendu possible par l’essor du niveau de vie, signe pour l’auteur la défaite de la société traditionnelle « façonnée par la mentalité paysanne », que caractérisait l’aversion pour le crédit et l’endettement. Des freins séculaires à la satisfaction immédiate ont disparu en une quinzaine d’années, avec le concours de la publicité, de plus en plus envahissante, des radios privées, qui se disputaient les jeunes auditeurs, et même des pouvoirs publics, déterminés à dévaloriser l’épargne. « En arrière-plan de ces changements économiques, leur ouvrant la route, une grande offensive fut lancée contre la culpabilité et toutes les formes de culpabilisation susceptibles d’agir comme autant de freins à la consommation, comme autant d’entraves à la libre expression du désir individuel et à la légitime aspiration au bien-être », argumente l’essayiste.

La désinhibition concerna d’abord les biens matériels, puis la sexualité. L’hédonisme affaiblit l’Eglise catholique mais aussi « tous les idéaux du long terme et de la totalité » qui, tels ceux portés par le Parti communiste, « prônaient le sacrifice des satisfactions individuelles au profit du bien commun ». D’autant que la fin du conflit algérien marquait le début d’une période de paix sans précédent.

Le paradoxe est que le grand chambardement des mœurs que dépeint Patrick Buisson, scandé par la réforme des régimes matrimoniaux (juillet 1965), la loi Neuwirth autorisant la contraception (décembre 1967), la suppression de la « puissance paternelle » au profit de « l’autorité parentale conjointe » (juin 1970), la loi Veil sur l’avortement (janvier 1975) ainsi que le divorce par consentement mutuel (juillet 1975), et symbolisé dans la mémoire collective par le grand ébranlement de Mai 68, a largement commencé sous la présidence du général De Gaulle, attaché de toutes ses fibres à l’ancien monde. Et peut-être que l’événement le plus important du mois d’octobre 1958 sera moins, pour les historiens de l’avenir, la promulgation de la Constitution de la Ve République que l’ouverture au même moment du premier supermarché en région parisienne.

Quoi qu’il en soit, de tous les éléments de la révolution étudiée par l’essayiste, le travail féminin salarié — qu’il soit souhaité, comme souvent dans les classes moyennes supérieures, ou subi car constitué de tâches ingrates, cas de figure fréquent dans les milieux populaires — a été l’un des plus déterminants. Pour la première fois, en 1971, il y a plus de bachelières que de bacheliers. Les mères au foyer ne sont plus valorisées socialement, et certains titres de la presse féminine blâment même ouvertement leur choix. La politique familiale, pour sa part, qui occupe dès cette époque une place décroissante dans les dépenses sociales, cesse, au début des années 1970, d’avoir pour objectif unique de favoriser la natalité et intègre de plus en plus des préoccupations sociales.

Le baby-boom a été, soutient l’auteur, une parenthèse au regard de la longue tradition malthusienne de la France, si spectaculaire au XIXe siècle, et avec laquelle notre pays renoue peut-être aujourd’hui. Adoptant la position la plus radicale qu’on puisse concevoir, Patrick Buisson déplore à la fois la légalisation de la contraception et de l’avortement et la facilitation du divorce, analysant avec minutie les différentes étapes de l’engrenage libéral qu’il estime vain de prétendre arrêter en chemin. Nous ne sommes pas chez Louis de Bonald, le penseur contre-révolutionnaire qui avait contribué à faire interdire le divorce en 1816, mais presque. Le constat de départ de l’auteur de Décadanse est certes consensuel : « Ce n’était là que l’extension logique à la vie privée du grand mouvement d’émancipation antiautoritaire et égalitaire qui, dans la sphère politique, avait triomphé des “vieilles structures aliénantes” et du poids de la tradition. » En somme, « les Etats et les idéologies relâchent enfin leur emprise sur les corps », qu’il s’agisse de la conscription voire de la mobilisation pour les hommes ou de l’interdiction de l’avortement pour les femmes. « Le corps est devenu ce bien supérieur dont rien ne justifie plus qu’aucune entité, quelle que soit la cause dont elle se réclame, puisse en disposer. » Mais l’auteur, lui, loin de s’en réjouir, juge désastreux que l’Etat soit devenu le servant, et même le laquais, des désirs individuels, au moyen du « retournement de l’usage du droit au service de l’individualisation de la société », c’est-à-dire d’« une appropriation du droit par le moi ». Appréciation peu susceptible de lui valoir des applaudissements, mais un porteur de mauvaises nouvelles n’en a cure.

L’habileté de l’essayiste tient à ce que, après avoir heurté son lecteur par la raideur d’un raisonnement, il le laisse reprendre quelque peu ses esprits en partageant avec lui un nouveau constat difficile à récuser : « de la dépendance envers le pourvoyeur financier qu’était l’ex-chef de famille, un glissement s’opère vers une dépendance à l’égard d’organismes anonymes, de machineries sociales de plus en plus étendues et complexes qui transforment la mère divorcée en allocataire immatriculée au guichet de l’Etat-providence ».

Rien de gratuit sous cette plume. C’est par cette qualité que l’auteur réussit à ébranler le lecteur méfiant envers son radicalisme ou hérissé par ses jugements. Il donne en revanche le sentiment de ne sélectionner, dans ses brèves références au passé national, que ce qui accrédite sa thèse, présentant ainsi celui-ci sous un jour si flatteur qu’on serait tenté de croire idéalisé. On a dit cependant tant de mal de ce passé dont nous sommes issus, le répudiant comme une « grande noirceur », qu’il a bien droit à un défenseur véhément et incommode.

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